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FRANÇOIS-JEAN DE LA BARRE

Dernière mise à jour : 18 août

Photo de François-Jean Lefebvre de La Barre

Aujourd'hui, nous allons parler de François-Jean Lefebvre Chevalier de La Barre, né en 1745 et exécuté en 1766 à Abbeville. Il est la dernière personne en France à être exécuté pour blasphème et sacrilège.










HISTOIRE

Il est le fils de Baptiste Alexandre Lefebvre, chevalier et seigneur de La Barre, mais il est aussi l'arrière petit fils de Joseph-Antoine Le Febvre de la Barre, qui était gouverneur de la Nouvelle-France, donc notre cher François-Jean Lefebvre, est plutôt issu d'une famille noble.


Son père dilapidera toute sa fortune de plus de 40 000 livres qu'il avait hérité de son père, le lieutenant général des armées et il meurt en 1762.


François-Jean perdra sa mère à 17 ans, lui et son frère Jean-Baptiste, complétement perdu et sans argent seront envoyés à Abbeville où ils seront récupéré par leur cousine Feydeau, Abbesse de Willencourt.


CONTEXTE

La France était une monarchie, le pouvoir, c'était le roi Louis XV (On en parlera un jour), mais a cette même époque, les révolutions américaines éclatent et ça fait se poser beaucoup de questions sur le modèle politique aux Français.


Sur le plan social, la France était divisée par la noblesse et le clergé en grande partie, pour le reste, c'était la bourgeoisie et les paysans.

Mais surtout, la France était totalement dominée par la philosophie des Lumière (Voltaire, Rousseau, Montesquieu...) qui remettaient en question la religion et l'autorité du roi, ils prônaient la liberté, la tolérance et la séparation de l'église et de l'état, c'était clairement au cœur des débats à cette époque !


C'est donc, dans ce contexte de changement intellectuel que François-Jean a grandi, totalement influencé par les idées des Lumières.


En ce qui concerne la ville d'Abbeville, l'élite est divisée politiquement et économiquement en 2 clans :


Les corporations des métiers du textile d’une part et de l'autre, la manufacture royale de draps d'Abbeville, appartenant a la famille Van Robais. Le maire Duval de Soicourt, défend les intérêts des Van Robais, alors que Pierre Jean Francois Douville, ancien maire, défend ceux des corporations.


Le maire Duval de Soicourt cumule beaucoup de postes à responsabilité, policier, judicature et de commandement militaire, avec le titre de lieutenant-général du roi en Picardie.


Les accusés de notre histoire sont tous membres "de la haute", des jeunes qui partagent les mêmes activités, fréquentent les mêmes endroits. Ils sont fils de magistrats. Parmi les inculpés se trouvent : Douville le fils de l'ancien maire, Gaillard d'Étallonde fils du deuxième président de la cour des Aides, Saveuse de Belleval fils du lieutenant de l'Élection Dumaisniel de Belleval, Moisnel son pupille, et François-Jean de La barre qui est le cousin de l'abbesse de Willencourt. Beaucoup de conflits d'intérêts donc.


Simon-Nicolas-Henri Linguet, un "philosophe observateur", rédige un ouvrage intitulé "Canaux navigables, ou Développement des avantages qui résulteraient de l'exécution de plusieurs projets en ce genre pour la Picardie, l'Artois, la Bourgogne, la Champagne, la Bretagne, & toute la France en général". Ce mémoire, sous prétexte d'études techniques sur les canaux navigables, vise en réalité à réformer l'économie locale en mettant fin au monopole de Van Robais. Dans ce contexte, Linguet prend ouvertement position en faveur de l'ancien maire, Douville, contre le maire en exercice, Duval de Soicourt.


La dégradation d'un crucifix donne à Duval de Soicourt une chance d'attaquer l'autre groupe. Il perçoit la publication du mémoire et la dégradation du crucifix comme une menace pour la société et sa propre position, alors qu'il est sur le point d'être réélu maire. Convaincre Omer Joly de Fleury, procureur général du roi au Parlement de Paris, un fervent jésuite et opposant de l'Encyclopédie, de cette menace ne lui demande pas beaucoup d'efforts.


Ça a l'air barbant comme ça, mais c'est très important pour comprendre le contexte.


Louis XV roi de France

9 AOUT 1765

Le matin du 9 août, 2 actes de profanation ont été découverts à Abbeville : des coups de couteau (ou d'épée selon certaines sources) sur le crucifix du pont et des dépôts "d'immondices" sur une statue du Christ dans le cimetière de la ville.


Les soupçons se portent très rapidement sur des jeunes "de la haute" connu pour leurs provocations, permis eux, François-Jean mais aussi Moisnel, Gaillard d'Etallonde, ces jeunes ont déjà fait parler d'eux en étant irrespectueux envers la religion et les religieux. D'autres jeunes de bonnes familles auraient même participé avec François-Jean, dont le fils de Pierre Nicolas Duval de Soicourt, le maire d'Abbeville.


L'évêque d'Amiens, Louis-François-Gabriel d'Orléans de La Motte, préside une cérémonie expiatoire, ou il désigne les coupables comme méritant les pires châtiments terrestres et éternels, il demandera aussi a Dieu de les pardonner.


Les familles décident de protéger leur enfant, c'est comme cela que Gaillard d'Etallonde et sa famille décident de fuir en Prusse, mais François-Jean et Moisnel restent à Abbeville.


L'enquête est donc ouverte et elle est dirigée par Duval de Soicourt, lieutenant de la police et maire d'Abbeville. Voltaire le décrit comme un fonctionnaire motivé par son devoir plutôt que par des rancœurs personnelles. Il ira à la rencontre d'environ 4 témoins, mais leurs dépositions portent souvent sur des faits différents de ceux reprochés, tels que des comportements irrespectueux lors de défilé religieux. Mais ces témoignages sont considérés comme des preuves potentielles. Personne n'a été témoin direct de la dégradation du crucifix.


1 OCTOBRE 1765

Mais cela n'empêche pas que François-Jean & Moisnel se fassent arrêter, Moisnel avoue et accusent d'autres jeunes, dont Douville, le fils de l'ancien maire & Saveuse de Belleval fils Dumaisniel de Belleval lieutenant du tribunal, les jeunes dénoncés vont prendre la fuite, mais seront arrêté plus tard. François-Jean, lui, continue de nier ! Chez lui, sera découvert des livres jugés "impies", ce qui va pas aider, on va pas se mentir.


Les livres retrouvés chez lui, sont :

1 Dictionnaire philosophique de Voltaire

3 Livres licencieux (des contes abordant des sujets tels que la sexualité, la scatologie et le blasphème)


Il y a un soupçon de vengeance personnelle qui concerne, Dumaisniel de Belleval, il aurait été rejeté par Feydeau, l'abbesse de Willencourt et cousine de François-Jean. Vengeance qu'il dirige peut-être sur François-Jean.


28 FÉVRIER 1766

Les 3 accusations du jugement mentionnent ceci :

"Qu'il a été atteint et convaincu d'avoir passé à vingt-cinq pas d'une procession sans ôter son chapeau qu'il avait sur sa tête, sans se mettre à genoux, d'avoir chanté une chanson impie, d'avoir rendu le respect à des livres infâmes au nombre desquels se trouvait le dictionnaire philosophique du sieur Voltaire"

François-Jean fera appel.


Il faut maintenant que le Parlement de Paris confirme le verdict.

François-Jean est donc transféré a la prison de la Conciergerie et passe devant la grand-chambre du parlement, sans avocat. Sur les 25 magistrats, 15 confirment la condamnation. Moisnel, qui a été arrêté plus tard, a seulement 15 ans, il sera donc condamné à une amende ordinaire.


Plusieurs personnalités interviennent face à Louis XV pour obtenir la grâce de François-Jean, dont Louis-François-Gabriel d'Orléans de La Motte, ils prônent que le dossier est bien trop léger et qu'il n'y a pas suffisamment de preuve qui prouve que François-Jean est l'auteur des faits reprochés. Ils accusent aussi l'illégalité de la peine, car depuis une décision de Louis XIV de 1666, le blasphème n'est plus puni. Mais Louis XV refuse d'utiliser son droit de grâce, comme il l'avait refusé pour Robert-François Damiens, qui avait tenté de tuer le roi.


"Le Parlement lui ayant reproché quelques années auparavant d'avoir voulu s'opposer à ce que se poursuive le procès de Damiens, coupable, contre sa personne, de crime de lèse-majesté humaine, l'auteur d'un crime de lèse-majesté divine ne devait pas être traité plus favorablement."


Grand-chambre du parlement de Paris

Grand-chambre du parlement de Paris


1 JUILLET 1766

Petit matin à Abbeville, François-Jean, 20 ans, est soumis a la question ordinaire (un interrogatoire) et subit des tortures (jambes enserrées entre des planches, avec des fers enfoncés entre les planches et les genoux pour briser les os), il perdra connaissance et sera réveillé, il déclara n'avoir aucun complice. Ils arrêtent la torture ici pour ne pas qu'il soit trop faible pour l'exécution. Il est emmené sur les lieux de l'exécution, la Grand-Place d'Abbeville, en charrette, avec une pancarte dans le dos sûr laquelle est écrit "impie, blasphémateur et sacrilège exécrable" et la corde autour du cou. Face au courage de François-Jean, ils annulent le supplice de lui trancher la langue, le bourreau le décapite d'un coup de sabre et le corps est jeté au bûcher avec le livre "Dictionnaire philosophique" de Voltaire cloué sur le torse. Les autres accusés ne seront pas exécuté, suite aux émotions fortes que fera cette exécution.


François-Jean de la Barre a la Grand-Place d'Abbeville

VOLTAIRE

Voltaire apprend l'exécution de François-Jean le 7 juillet 1766, il se sent attristé et craint d'être arrêté en raison de l'incinération d'un exemple de son Dictionnaire philosophique. Il se réfugie en Suisse et commence une contre-enquête. 2 semaines plus tard, il expose les motivations réelles des juges d'Abbeville et expose les faux témoins de Dumaisniel de Belleval.

Bien que trop tard, il prend la défense de François-Jean en écrivant un livre sur l'affaire, en soulignant la disproportion entre le délit et la peine, son intervention a suffit pour que les poursuites contre les autres accusés soient totalement abandonnées et que Moisnel soit libéré. Duval de Soicour est destitué de ses fonctions.


Il remet même en question l'implication de François-Jean dans les dégradations, citant des témoignages disant qu'il était dans sa chambre au moment des faits.


Dans son article "Torture" de l'édition de 1769 du Dictionnaire philosophique, Voltaire fait le récit du martyre du chevalier de La Barre :

Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d'un lieutenant général des armées, jeune homme de beaucoup d'esprit et d'une grande espérance, mais ayant toute l'étourderie d'une jeunesse effrénée, fut convaincu d'avoir chanté des chansons impies, et même d'avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d'Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seulement qu'on lui arrachât la langue, qu'on lui coupât la main, et qu'on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l'appliquèrent encore à la torture pour savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vu passer, le chapeau sur la tête.

Voltaire aidera aussi Gaillard d'Etallonde (qui rappelez vous, avez fuit avec sa famille), en le faisant entrer dans l'armée prussienne pour le protéger.


En juin 1775, un livre intitulé "Le Cri du sang innocent" est publié, signé par Gaillard d'Etallonde, réfugié à ce moment-là à Ferney. Mais il est probablement écrit par Voltaire lui-même, il espère obtenir la clémence du nouveau roi, Louis XVI, mais ça ne marchera pas.


ET MAINTENANT

L'affaire de François-Jean Lefebvre de La Barre, comme les affaires Calas et Sirven, donne à Voltaire et aux philosophes des Lumières une nouvelle chance de combattre l'arbitraire du système judiciaire et de dénoncer l'obscurantisme au 18e siècle. Voltaire a changé le nom de son "Dictionnaire philosophique" en "Questions sur l'Encyclopédie" et a ajouté un article nommé "Torture" dans lequel il condamne et dénonce les violences infligées au jeune François-Jean, dont j'ai déjà cité précédemment.


La condamnation de François-Jean, reposait sur une interprétation abusive des lois et sur la volonté des juges et du Parlement de Paris de faire de lui un exemple pour éteindre l'influence jugées nuisible des philosophes, car depuis le 30 juillet 1766 le blasphème n'imposait plus la peine de mort.

François-Jean est réhabilité par la Convention le 15 novembre 1793.


Statue de François-Jean de La Barre

Sources :

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